Beaucoup d’autres points relevant de l’ordre sociologique et philosophique kabyle seront brillamment mis en avant par le séminariste comme le concept portant sur « l’anaya « ( la protection). « La Kabylie, dit-il, n’a jamais fermé ses portes à ceux qui ont sollicité sa protection, et ce, depuis la nuit des temps ».
24/08/2013 – 17:10 mis a jour le 25/08/2013 – 08:23 par Saïd Tissegouine
Quel est le véritable concept de la laïcité ? Quelle est sa véritable portée ? Quelle est sa place en Kabylie à l’heure actuelle et quelle est l’historicité de la corrélation entre la Kabylie et la laïcité ? Telles sont quelques unes d’ une multitude de questions posées et débattues aujourd’hui à Tizi-Ouzou, à l’occasion d’un séminaire portant sur la laïcité. Il a été animé par deux éminents universitaires, en l’occurrence le Pr Dahmane N’ath Ali et le Pr Rachid N’ath Ali Oukaci.
Signalons d’emblée que c’est le président du Mouvement pour l’Autonomie de la Kabylie (MAK), M.Bouaziz Ait-Chebib, qui a ouvert le bal en rappelant la grande dimension et la longue portée de l’action de 3 août dernier à Tizi-Ouzou. Sans l’ombre d’amphibologie dans le discours, le premier responsable du MAK a, encore une fois, situé le rassemblement du 3 août dans son exact contexte historique. Apres une longue explication sur cet événement considèré à plus d’un titre comme “historique”, le président du MAK a conclu que si “des parties ont essayé de s’en octroyer la paternité, c’est justement à cause de son éclatante réussite”. Il faut reconnaître que Bouaziz Ait-Chebib s’est montré prolixe dans son intervention. C’est pourquoi aussi, il n’a laissé aucune zone d’ombre sur la visée extrêmement laïque de ce rendez-vous du 3 août.
C’est suite également à cette brillante intervention que le Professeur aux universités, Rachid N’At Ali Oukaci, prit la parole pour définir les différents concepts de la laïcité et leurs cheminements historiques. C’est ainsi que le séminariste a incrusté le terme “sécularisme” dans l’ensemble conceptuel relatif à l’ordre du jour. En effet, le Pr Rachid N’ath Ali Oukaci a expliqué que mot laïcité a trait à l’État français et de sa séparation avec l’Église. De ce fait, c’est l’État qui a usé de son autorité pour se séparer de l’Église, et ce, dès l’année 1905.
Le sécularisme en revanche, explique l’auteur de la communication, est suggéré et recommandé à partir de la base, c’est-à-dire par le peuple, et au même temps, explique et stipule une autre forme de la relation individu ou groupe d’individus vis-à-vis de la religion. Dans ce sens même, le groupe d’individus formule le souhait de préserver la religion du politique. Pour être compris de l’assistance, fort nombreuse dans la grande salle, le Pr Rachid N’ath Ali Oukaci multiplie les exemples de sociétés vivant sous les régimes laïque et séculaire. La France et l’Amérique du nord ont bien servi d’exemples. Qu’en est-il donc de la Kabylie ? L’ordre sociologique, administratif, politique et culturel kabyle, cinq fois millénaire, fait que l’ordre est plutôt séculaire dès lors que chaque village a constitué une république, et ce, jusqu’a l’année 1857. Après avoir expliqué la signification et la portée de j’maa liman (au nom de toutes les croyances) qui renseigne aisément sur le respect de toutes les religions et de toutes les croyances, le séminariste se penche sur l’historiographie des savants et religieux kabyles comme Aghiles (Gilas), Saint-Augustin, etc.
A travers son historicité sur le parcours de ces savants et hommes de culte kabyles, Rachid N’ath-Ali Oukaci a démontré que la Kabylie, depuis des siècles, a vécu dans le respect des religions et des croyances mais tout en gardant son indépendance vis-a-vis d’elles.
En ce qui le concerne, le Pr Dahmane N’ath Ali axera son intervention beaucoup plus sur l’ordre sociologique et politique de la Kabylie pour expliquer à son tour que les concepts de la laïcité ou du sécularisme ont pris racine en Kabylie depuis la nuit des temps, contrairement à l’idée que tentent de faire répandre les partisans de l’islam « religion de l’État ».
Ce séminariste a également démontré par des faits historiques que le peuple kabyle a dirigé et traité ses affaires, aussi compliquées furent-elles, selon un droit coutumier et non selon le droit typiquement musulman. Et de fil en aiguille, le Pr Dahmane N’ath Ali arrivera au cas de la femme et de l’héritage. A coup sûr, le séminariste lèvera un voile important sur cette question. C’est en 1747 que des modifications ont été apportées, et ce, à titre exceptionnel concernant la part de la femme dans l’héritage. Alors que des hommes (Kabyles) partaient pour un long voyage ou qu’ils se faisaient prisonniers par les autorités turques, les leurs (leurs familles) les considéraient comme morts, leurs épouses se remariaient, et du coup, transféraient leurs parts de biens au profit du nouvel époux. Au retour de celui considéré comme « disparu » ou carrément « mort », des problèmes surgissaient.
Bouaziz Ait-Chebib intervient à ce moment pour apporter un complément d’informations en révélant que dans certains cas, c’était les Turcs qui se proposaient d’épouser les richissimes femmes kabyles, et ce, rien que pour avoir les terres et autres biens. Selon le président du MAK, dès lors que les Turcs n’ont pas pu s’imposer militairement en Kabylie, donc n’ont jamais pu s’octroyer les terres et autres biens par la force, ils ont élaboré ce stratagème consistant à épouser de richissimes femmes kabyles. C’est à ce moment que le Pr Dahmane N’ath Ali reprend la parole pour expliquer ensuite que c’était pour éviter que les terres familiales deviennent la propriété d’autrui que le mode de partage de l’héritage familial fut modifié. De même, le séminariste a expliqué et démontré que l’ordre coutumier kabyle n’a jamais exclu la femme de l’héritage.
L’intervenant a également mis en avant le statut de la femme kabyle qui est loin d’être négligeable, contrairement à celui que lui réserva le droit musulman. Très bon connaisseur de l’histoire des religions, le Pr Dahmane N’ath Ali qui s’est farouchement réclamé de ceux qui sont loin d’être « des islamophobes » a affirmé que l’islam véhicule un messianisme terrestre, contrairement au judaïsme et au christianisme. « Or, les Kabyles, souligne-t-il, n’ont jamais été les partisans du messianisme terrestre ».
Beaucoup d’autres points relevant de l’ordre sociologique et philosophique kabyle seront brillamment mis en avant par le séminariste comme le concept portant sur « l’anaya « ( la protection). « La Kabylie, dit-il, n’a jamais fermé ses portes à ceux qui ont sollicité sa protection, et ce, depuis la nuit des temps ». Sur cet aspect des choses, la Kabylie a plusieurs siècles d’avance sur les pays occidentaux. L’équivalent de la carte officielle du détenteur du droit d’asile d’aujourd’hui équivaut à une sorte de fanion dans la Kabylie des siècles passés. Cela veut dire que le jouisseur de « l’anaya » portait un fanion ou le blason de la tribu ou la famille qui l’a lui a assurée.
Les Prs Dahmane N’ath Ali et Rachid N’ali Oukaci ont affirmé que beaucoup de principes et valeurs universellement reconnus depuis longtemps ont été inventés et mis en avant par le peuple kabyle mais imputés faussement aux Arabes pour la simple raison que la Kabylie était sous la domination et l’influence arabes. Le meilleur exemple de cette erreur historique est sans doute ces chiffres de 0 à 9 qui sont l’invention de savants kabyles exerçant leurs compétences à l’université de Bejaia. Aujourd’hui encore, le monde appelle ces chiffres « chiffres arabes » car lors de leur invention par les savants kabyles, Béjaia était sous la domination et l’influence arabes.
Plusieurs autres points témoignant de la civilisation et la grandeur du peuple kabyle ont été énumérés et mis en avant par les deux éminents universitaires et chercheurs qu’il faudrait plusieurs pages pour les reprendre tous. S’agissant du débat, nous devons noter d’emblée qu’ils ont été houleux et, surtout, de haute volée. En effet, il était surtout question de savoir comment rendre la laïcité applicable et immuable en Kabylie ? Comment sauver la Kabylie du naufrage qui la menace ? Comment convaincre les gens que la laïcité ne signifie pas l’islamophobie ? Comment sauver la langue et la culture kabyles face à l’avancée inéxorable de l’arabisme et l’islamisme outranciers au cœur même de la Kabylie ? Comment réunir des moyens de lutte pouvant faire un tant soit de rempart aux moyens colossaux mobilisés à contre sens par le pouvoir ? Telles sont les principales questions posées par les intervenants et auxquelles les deux séminaristes, Hocine Azem, Nafaa Kireche, ministre du Gouvernement Provisoire Kabyle (GPK) et naturellement Bouaziz AIt-Chebib ont tenté d’apporter des réponses.
Il y a lieu de noter que le président du MAK, sans tomber dans le pessimisme, a bel bien tiré la sonnette d’alarme sur le danger pesant sur la Kabylie d’où son appel à la Kabylie entière quant à son sursaut national et patriotique.
Addenda : Le président du MAK, M. Bouaziz Ait-Chebib, a informé l’assistance que la famille militante et patriotique du MAK tiendra son conseil national vers la fin du mois de septembre 2013 et s’en suivra ensuite la conférence nationale kabyle où il sera sûrement question de changer l’actuel sigle (MAK). Selon le premier responsable du MAK, la nouvelle dénomination du Mouvement pour l’Autonomie de la Kabylie sera sans doute : ” Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie’’.